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Les 1001 vertus de l'ennui

Socio | le mardi 5 mai 2020
Petite fille peinture sur mains
Dans nos sociétés hyperactives et ultra-connectées, l'ennui apparaît comme un sentiment quasi-préhistorique et renvoie une image négative au profit d'une glorification de la productivité. Associées au désœuvrement, les périodes de latence ont pourtant de multiples vertus soulignées par de nombreux·ses philosophes et psychologues. Et si le confinement constituait l'occasion de réapprendre à les apprécier ?

Si vous ne télétravaillez pas ou n'êtes pas débordé·e par la garde de vos enfants, une curieuse sensation vous a probablement déjà envahi·e ces dernières semaines : l'ennui. Phénomène d'autant plus déroutant que cet état, jusqu'ici noyé par votre quotidien trépidant, vous était devenu presque étranger - comme s'il appartenait à une autre époque. Dans nos sociétés obnubilées par la réussite personnelle et l'impératif de productivité, il est en effet mal vu de ne rien faire. Or derrière les préjugés, le sentiment d'ennui se révèle en réalité bénéfique sous de multiples angles. Le confinement permet de s'en rendre compte : les périodes de latence peuvent être positives car elles délestent d'une charge psychologique, tout en encourageant l'expérimentation. En ralentissant nos rythmes effrénés, elles permettent à chacun·e d'explorer d'autres aspects de sa personnalité et de prendre du recul sur sa vie. À en croire le philosophe Heidegger, l'ennui profond est même une expérience cruciale : il révèle la réalité de notre être et nous donne conscience de notre existence. En 1929, dans Qu'est-ce que la Métaphysique ?, il notait que l'ennui « rapproche les hommes et les choses, et vous-mêmes avec tous ». C'est un moment d'éveil et de communion.

Un rôle essentiel pour la créativité et le développement de la personnalité

Le confinement ouvre ainsi une fenêtre pour renouveler sereinement son rapport au monde, mais aussi pour prendre soin de soi et de sa famille. À cet égard, les parents ont tendance à vouloir sans cesse occuper leurs enfants, voire à les surcharger d'activités. Or de nombreux·ses psychologues affirment que l'ennui ne doit pas être complètement proscrit, car il jouerait un rôle majeur dans la construction de la personnalité des enfants. Laissé·e·s à eux·elles-mêmes de temps à autre, ces dernier·ère·s apprendraient ainsi à être plus autonomes, et à mieux cerner leurs envies, voire à découvrir ce qui les animent profondément. Ils·Elles auraient également l'occasion de faire appel à leur imaginaire et exploreraient leur liberté de créer, d'inventer, de rêver...

Denis Grozdanovitch : « Nous sommes formatés depuis l'enfance à vivre à tambours battants et cela est aliénant. Je ne prône pas la paresse mais un lâcher-prise qui va à rebours de ce sentiment d'urgence permanente que nous avons et qui est parfois artificiel. »

Certains de ces bienfaits peuvent également s'appliquer aux adolescent·e·s et aux adultes. De nombreux·ses intellectuel·le·s revalorisent ainsi l'ennui et montrent qu'il peut être bénéfique pour la créativité. Psychologue à l'Université de Central Lancashire et auteure de l'essai Du bon côté du temps mort : pourquoi l'ennui est bon, Sandi Mann est l'une des figures de proue de la recherche sur l'ennui, champ d'étude très récent (car défriché depuis seulement vingt ans). À travers des expériences menées avec son homologue Rebekah Cadman, elle est arrivée à la conclusion que les personnes réalisant des tâches rébarbatives pendant un quart d'heure se montraient ensuite bien plus créatives que les individus ayant réalisé des tâches « intéressantes ». Interrogée par Printemps.com, elle explique : « l'ennui est une recherche de stimulation neurale qui n'est pas satisfaite. Un esprit est toujours actif. Il trouvera une stimulation "en interne" s'il ne peut pas la trouver "à l'extérieur". Si nous ne pouvons pas trouver de stimulation, notre cerveau la créera. Cela est permis grâce aux errances de l'esprit et à la rêverie. » Une idée notamment corroborée par Jerome Singer. Ce chercheur en psychologie affilié à l'université Yale a montré que la rêverie éveillée permet non seulement d'accéder à des souvenirs perdus, mais aussi de faire des liens significatifs entre plusieurs idées. D'ailleurs, scientifiques et artistes n'ont-ils·elles pas eu certaines de leurs plus grandes idées en s'ennuyant ? Newton n'aurait-il pas eu la révélation de la gravitation alors qu'il se reposait sous un arbre, et qu'une pomme lui serait tombée sur la tête ?

Une réconciliation salvatrice

Le philosophe Andreas Elpidorou invite dès lors à apprivoiser le sentiment d'ennui lorsqu'il se présente. Dans son essai Une vie sans ennui serait un cauchemar, il écrit que ce sentiment est une alarme interne que « nous devons remercier - au lieu de l'éviter comme la peste. Quand elle s'active, elle nous dit quelque chose. » Elle « nous motive - on pourrait même dire, nous pousse - à rechercher une situation différente. »

Inspiré par le bouddhisme zen et Marcel Duchamp, l'artiste et musicien John Cage a illustré cette idée à travers son morceau-performance « 4′33′′ ». Son concept consiste à faire venir un ou plusieurs musicien·ne·s sur scène, s'apprêtant à se servir de leur instrument sans finalement en jouer une seule note sur une durée de 4 minutes et 33 secondes, pour encourager - en creux - les spectateur·rice·s à écouter les sons produits dans le public. Une œuvre radicale et expérimentale, qui invite à s'extraire du flux ordinaire de la vie pour effectuer un pas de côté. John Cage disait à ce sujet : « si quelque chose est ennuyeux sur deux minutes, faites le durer quatre minutes. Si c'est encore ennuyeux, essayez huit, seize, une demi-heure. À la fin, ce n'est plus ennuyeux, c'est devenu intéressant. »

L'ennui se révèle en effet pouvoir provoquer des changements de perspective fructueux. Apprendre à accepter ce sentiment, que l'on a tendance à rejeter de prime abord, et revaloriser au passage la flânerie pourrait même s'avérer bénéfique pour le bien-être. Comme l'explique l'écrivain Denis Grozdanovitch, auteur de L'Art difficile de ne presque rien faire (2009) : « nous avons du mal à goûter le temps présent. Nous sommes formatés depuis l'enfance à vivre à tambours battants et cela est aliénant. Je ne prône pas la paresse mais un lâcher-prise qui va à rebours de ce sentiment d'urgence permanente que nous avons et qui est parfois artificiel. »

Dans le tourbillon de la vie quotidienne, il peut s'avérer difficile de s'autoriser à prendre son temps. Mais cette situation pourrait changer. Avec le confinement, le syndrome Fomo (« Fear of Missing Out », soit la peur de manquer un événement) s'est dissipé. Chez certain·e·s, il a même été remplacé par son contraire : le Jomo (« Joy of Missing Out », la joie de rater quelque chose). Les tentations de sortir s'étant évaporées, chacun·e peut rester à domicile et prendre du temps pour soi sans culpabiliser, qu'il s'agisse de cuisiner, faire la sieste, rêvasser, se lancer dans le hip-hop yoga, appeler un ami perdu de vue, faire du sport à domicile ou encore finir un livre entamé il y a des mois... Dans un monde en plein burn out, l'ennui transitoire, la flânerie et le self-care se retrouvent ainsi plus valorisés que jamais, et l'effet de cette déstigmatisation pourrait bien se prolonger par-delà la période de confinement, au grand bénéfice du bien-être et de la reconnexion avec soi-même.

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