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Ce que la couleur de nos vêtements dit de notre époque

Socio | le mercredi 24 mars 2021
mannequins habillés en couleur
Depuis plusieurs saisons, les couleurs gaies et vives envahissent les podiums, s'affichant en total look ou en color block. Comme une réminiscence de l'esprit eighties et de ses clubbers, le fluo est de nouveau à la mode, tout comme les couleurs qu'on associe à la nature - tel que le vert. Que disent-elles de nos vêtements, de nous-même et de l'esprit du temps ?

Aborder la symbolique des couleurs, c'est tout d'abord aller à la croisée de plusieurs disciplines : l'histoire, la sociologie, la linguistique, la science, l'art, la technologie et bien sûr, la mode. Car si la perception des couleurs est avant tout un phénomène physique, elle est aussi culturelle. La couleur renvoie à une lumière, une sensation, mais elle est aussi et surtout une idée, un concept retranscrit par un ou plusieurs mots. « La notion de couleur est profondément liée à sa nomination, explique Annie Mollard-Desfour, linguiste-lexicographe, sémiologue au CNRS et auteure d'une série de lexiques sur les couleurs. Sans un mot pour la nommer, une couleur ne peut réellement être rendue intelligible et encore aujourd'hui, quelques peuples ne parviennent pas à en distinguer certaines. » La couleur est donc une production idéologique dont l'interprétation varie. C'est essentiellement un phénomène culturel lié à un contexte, une époque, une société donnés. Le plus souvent, c'est d'ailleurs par la mode et le vêtement que se jouent l'évolution et la révolution des couleurs.

« Nos vêtements et leurs couleurs sont de puissants marqueurs sociaux et identitaires », poursuit Annie Mollard-Desfour. Les revendications révolutionnaires et libertaires de la jeunesse hippie des années 70, par exemple, s'incarnaient ainsi notamment par un style marqué par des couleurs chaudes et gaies, juxtaposées via la technique du tie and dye. Les couleurs peuvent aussi être les marqueurs d'une classe sociale, comme en témoigne l'expression américaine « White Collars - Blue Collars », employée aux États-Unis pour traduire la dichotomie entre les « cols blancs », traditionnellement vêtus de chemises blanches, et les « cols bleus » des usines, arborant le traditionnel bleu de travail.

mannequins habillés en couleur

Des phénomènes de mode ancrés dans l'histoire

Si le vestiaire classique, notamment masculin, semble aujourd'hui principalement porté vers les couleurs neutres et sombres, il n'en a pas toujours été ainsi. Jusqu'à l'époque moderne, qui s'achève à la fin du XVIIIème siècle, les couleurs ornent fièrement et indifféremment les tenues des hommes et des femmes, symbolisant la lumière, la joie voire même le Salut. Mais la réforme protestante, initiée dès le XVIème siècle, qui encourage l'anti-couleur, va profondément transformer les mentalités en Occident. Hormis le règne de Louis XIV, haut en couleur, et la France des Lumières, qui brille autant par ses étoffes que par ses idées, l'austérité vestimentaire devient peu à peu la norme. « La morale protestante de la couleur deviendra en effet celle du capitalisme et de la société industrielle, et laissera des traces jusqu'au XXe siècle », explique l'historien Michel Pastoureau dans son essai Les couleurs aussi ont une histoire, publié dans Mensuel 92. Pour l'expert des couleurs, le « chromoclasme protestant », soit le bannissement de certaines couleurs, a encore une influence majeure sur nos habitudes vestimentaires actuelles marquées par le primat du blanc, du gris, du noir et du bleu marine, « un noir qui n'ose pas dire son nom ». Il pourrait même être à l'origine du vêtement emblématique de nos sociétés industrielles, le fameux blue jean, venu des États-Unis et dont le style intemporel puis genderless a traversé les modes pour devenir un nouvel uniforme. La sobriété est devenue synonyme d'élégance et de chic, le noir et le bleu dominant largement l'imaginaire collectif et inspirant des générations de créateur·rice·s. Depuis plus d'un siècle, le bleu est ainsi la couleur préférée des Occidentaux, qui l'aime pour son côté neutre et consensuel. Associé à la sécurité, au confort ou encore à la tendresse, il reste discret et n'attire pas le regard - du moins lorsqu'il est peu saturé.

Lorsqu'on parle de couleurs, l'idée de regard est centrale. Car arborer une couleur plutôt qu'une autre peut correspondre à une volonté d'être visible, de se démarquer ou au contraire de se fondre dans la masse. Et l'histoire des grands changements socio-culturels, des luttes et revendications, dont la mode se fait le miroir, s'accompagnent de couleurs. Ainsi, dans les années 60 par exemple, le style « Space Age », qui célèbre une femme futuriste à travers les créations avant-gardistes de Courrèges, met le blanc à l'honneur plus que toute autre couleur. « Porteur d'une myriade de symboliques, le blanc se révèle tour à tour être le symbole de l'absolu, de la lumière, de l'hygiène du corps et de la pureté de l'âme, explique Annie Mollard-Desfour, mais il symbolise aussi le vide et le silence, un espace libre où tout est possible. » La jeunesse s'enthousiasme alors pour ces silhouettes qui semblent déjà profiler la mode du second millénaire. En témoigne aussi le sacre de l'argenté, une couleur qui se retrouve encore sur un grand nombre de podiums soixante ans plus tard : street chez Lacoste, évanescent chez Saint Laurent ou encore version croco chez Loewe. Les eighties défilent quant à elles dans une explosion de couleurs. L'ère est alors à l'excentricité et l'oversize règne en maître, tout comme les teintes pop et acidulées.

mannequins habillés en couleur

Les multiples pouvoirs de la couleur

Extirpées des années 1980, les teintes vives et flashy opèrent aujourd'hui un véritable come-back. Leur retour marquerait-il un désir d'évasion, de légèreté et d'insouciance ? D'autant que la couleur aurait en effet le pouvoir d'influer sur notre humeur, notre comportement et notre psychologie. Bien que les études sur la question soient encore trop récentes pour réellement établir une loi scientifique, c'est en tout cas ce que s'appliquent à prouver certain·e·s neuroscientifiques. Porter un vêtement d'une certaine couleur pourrait en effet influer sur la psyché. La couleur, dès lors, pourrait agir à la fois sur notre propre état d'esprit et sur la vision que les autres ont de nous. Pour Shakaila Forbes-Bell, créatrice et rédactrice en chef de The Psychology of Fashion, « la couleur d'un vêtement dévoile les traits psychosociaux d'une personne ». Selon la psychologue de la mode diplômée du London College of Fashion, « les vêtements et les couleurs que nous portons sont le reflet de notre personnalité et de notre statut social. » Moins d'un dixième de seconde serait ainsi nécessaire pour se forger un avis sur un individu que nous rencontrons pour la première fois grâce à l'analyse des signaux qu'il renvoie. La couleur revêt alors un pouvoir de dissimulation ou d'affirmation de soi, voire même d'empowerment. En 2008, Veronika Keller publiait une étude intitulée More than just a colour: Pink as a gender and sexuality marker in visual communication, dans laquelle elle démontrait que le rose a pu vaincre les stéréotypes traditionnels liés à la féminité ou à la candeur pour devenir également un symbole d'indépendance, de force et de progrès, façonnant une féminité post-féministe. Alors que les frontières du genre s'estompent peu à peu, le rose s'impose par ailleurs au sein du vestiaire unisexe, invitant chacun·e à porter librement ce qui fut la couleur préférée de la reine Marie-Antoinette.

Suivant le cycle de la mode et des saisons, les couleurs s'adaptent et se réinventent. Chaque printemps, on assiste ainsi à une éclosion de tenues colorées : des teintes pastel, notamment, qui deviendront plus saturées au fur et à mesure de la saison, à l'image des arbres et des fleurs baignés par le soleil. Le mauve, autrefois mal-aimé de la mode, défile ainsi dans les champs de lavande du défilé homme printemps-été 2020 de Jacquemus sur un catwalk fuchsia installé en pleine nature. En 2019, les spécialistes des couleurs Christine Foden et Tony Bannister prévoyaient déjà que les couleurs inspirées de la nature domineraient les collections de la saison printemps-été 2020, du vert au bleu en passant par l'orange et le magenta... L'année dernière, c'est d'ailleurs le « Classic Blue » qui a été sacré couleur de l'année 2020 par l'entreprise américaine Pantone, véritable pythie des tendances mode et design. Présenté comme intemporel, durable, élégant et simple, le « Classic Blue » se veut rassurant et produirait « un sentiment de paix et de tranquillité ». Car les couleurs que nous adoptons reflètent nos aspirations et nos désirs. Alors que le monde opère un virage green, on assiste également à un certain retour aux sources et à une quête d'harmonie avec la nature que symbolise le grand retour sur les podiums des nuances de vert cette année.

Le pouvoir de la couleur est donc pluriel. Esthétique, symbolique, psychologique, mais également financier - preuve en est le marché très lucratif qui repose sur le business de la couleur aujourd'hui. C'est aussi un domaine en constante évolution, notamment dans les neurosciences ou les nouvelles technologies, qui auraient à ce jour répertorié près de 300 000 couleurs différentes. L'avenir semble donc s'ouvrir sur une palette de teintes infinies : de quoi inspirer sans cesse les créateurs·rice·s de mode et prescripteur·rice·s de tendances, pour qui elles constituent une matière créative inépuisable.

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